Qui a dit que le vin, ce n’était que du jus de raisin fermenté ? Certainement pas moi. L’homme adore ajouter toutes sortes d’ingrédients à son vin, et pas seulement de l’eau pour modérer son propos. La plupart du temps, c’est dans le but d’en améliorer le goût ou la conservation, même si, faute de meilleur, on obtient parfois le pire. Je ne vais pas m’aventurer trop avant sur ce qu’on peut adjoindre au vin après avoir ouvert la bouteille. Sirop de cassis ou de violette pour un kir, sirop de pamplemousse pour égayer un rosé, épices et agrumes pour une sangria, presque la même chose mais chauffée pour un vin chaud… Les seules limites aux possibilités sont celles de votre imagination.
Je préfère aborder ce que l’on incorpore au vin lors de sa fabrication. Bien sûr, en bon chantre des merveilles de Dame Nature, vous m’expliquerez que l’ère du tout-chimique a ravagé la conception pourtant pure du vin, le polluant pour permettre sa production à des niveaux industriels. Mais ce n’est pas tout à fait juste.
Thym, miel et cannelle dans l’Antiquité
On ose espérer, sans en être sûrs, qu’il y a huit mille ans en Géorgie, quand la vinification a commencé à se répandre, le vin était parfaitement épuré. Mais, rapidement, nos ancêtres ont commencé à le traficoter. Dès l’Antiquité, les Grecs et les Romains adoraient l’aromatiser avec toutes sortes d’ingrédients.
Des études sur des amphores de vin de l’époque nous donnent plusieurs exemples. Ces dernières étaient souvent enduites de résine avant d’y verser le vin. On y a aussi retrouvé de nombreuses traces de thym, de miel, de cannelle, de fleurs, de coing et même d’eau de mer ! Non que cette dernière soit une gourmandise, mais le sel est un exhausteur de goût et les arômes du vin devaient ainsi être mis en valeur.
En tout cas les bacchanales étaient épicées. Que de bons ingrédients naturels !, me rétorquerez-vous. Et pourtant non. Les Romains ajoutaient fréquemment du defrutum, ou sapa, un sirop de moût de raisin cuit jusqu’à réduction dans un pot en plomb, qui avait donc la particularité d’être riche en acétate de plomb… et donc toxique.
Et cette bizarrerie ne s’est pas arrêtée avec l’essor du christianisme ! Durant tout le Moyen Age et jusqu’à la Révolution, plusieurs régions viticoles, le Poitou en tête, traitaient le vin au plomb pour en atténuer l’acidité. Autant dire que le saturnisme était monnaie courante, puisqu’au XIVe siècle les 20 millions de Français consommaient une moyenne de trois litres de vin par jour. Cela restait une boisson bien plus saine que l’eau, bourrée de bactéries.
Chasse aux sulfites
L’hypocras était le vin des grandes fêtes, aromatisé de miel, de gingembre, de clous de girofle – parfois de piment – macérés et filtrés avant d’être embouteillés. Nous ne sommes pas moins fantasques aujourd’hui : la Californie a autorisé en décembre 2016 la commercialisation du cannawine, un vin fermenté avec des feuilles de cannabis qui infusent durant neuf mois. Rassurez-vous, les raisins sont issus d’une agriculture biodynamique.
Nous sommes bien loin de l’ajout le plus courant dans le vin depuis cinq cents ans : le sucre. Appelé chaptalisation, ce procédé permet d’augmenter le degré d’alcool puisque en théorie la fermentation de 17 grammes de sucre par litre produit un degré d’alcool. Elle est désormais strictement réglementée en France mais reste possible certaines années.
Reste la viticulture conventionnelle et ses 47 additifs de synthèse autorisés : des levures pour booster une fermentation paresseuse, des acides pour acidifier le vin, des tanins pour lui donner du corps, des copeaux de chêne pour lui ajouter un goût boisé sans s’embarrasser avec des barriques… et les deux plus courants, autorisés jusqu’en bio et biodynamie : le blanc d’œuf (ou albumine) et le soufre (ou sulfites). Le premier sert à clarifier le vin et à le débarrasser des dernières lies – il est évidemment éliminé avant la mise en bouteilles ; le second le stabilise et le protège de l’oxydation.
La chasse aux sulfites est désormais en vogue, d’autant que leur présence, quasi systématique, est mentionnée sur les étiquettes. Mais dites-vous que ce n’est peut-être pas la pire molécule qu’ait croisée votre vin dans sa vie.
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