Mesurer la qualité de vie en soins palliatifs pédiatriques

Les soins palliatifs pédiatriques visent à améliorer la qualité de vie d’enfants gravement malades, souvent en fin de vie. Prévenir ou soulager douleurs physiques, symptômes inconfortables liés aux traitements ou souffrance psychologique : des objectifs clairs. Mais ces soins améliorent-ils vraiment la qualité de vie des enfants ?

Cette question fonde les recherches de Marie Friedel, précurseure dans le domaine en Belgique. Doctorante à l’Institut de recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCLouvain sous la supervision des professeurs Isabelle Aujoulat et Jean-Marie Degryse, elle a cherché à mesurer cette « qualité de vie ». Face à l’absence d’outils de mesure chez nous, elle s’est intéressée à un instrument préalablement testé en Afrique. Cet outil, appelé le « Children’s Palliative Outcome Scale » (APCA-CPOS) étant disponible uniquement en anglais, Marie Friedel l’a adapté et développé en français et en flamand, pour la Belgique, en donnant la parole aux enfants et aux parents. Aujourd’hui objet d'une étude multicentrique, grâce à la collaboration de six équipes de liaisons pédiatriques depuis janvier 2019, l’outil pourrait devenir un instrument utilisé couramment par les équipes accompagnant les enfants gravement malades et leur famille. L’objectif : augmenter l’individualisation des soins aux familles et aux enfants.

La loi relative aux soins palliatifs en Belgique existe depuis 2002. Près de quinze ans plus tard, une révolution : une modification de l’article fait évoluer l’amplitude de ces soins afin qu’ils ne soient plus seulement restreints à la phase unique de la fin de vie, mais qu’ils puissent également être prodigué dès le diagnostic de maladie grave. Cette extension vaut également pour le secteur des soins pédiatriques. « Mais que signifie la « qualité de vie » pour les patients et leur entourage ? », questionne Marie Friedel. Ancienne infirmière pédiatrique praticienne, cette chercheuse s’est passionnée pour le domaine, peu documenté en Belgique, des soins palliatifs pédiatriques (SPP). « L’objectif de mes recherches est d’explorer ce qu’est cette notion, encore très floue en ce qui concerne les enfants, explique-t-elle. Je voulais interroger les principaux concernés : enfants, parents et soignants. »

Un secteur encore trop peu étudié en Belgique

En entamant ses recherches en 2016, Marie Friedel constate le tabou auquel le terme « palliatif » fait face. « C’est un mot qui fait peur, observe-t-elle. On pense immédiatement à la mort en entendant ce terme. Pourtant, parmi les enfants observés au terme de la première partie de mes recherches doctorales, le suivi durait en moyenne sept mois et naviguait entre le domicile, l’école, les sorties chez les amis… L’image d’Epinal de l’enfant allongé dans son lit à attendre la mort est loin d’être le reflet de la réalité. Au contraire, le service des soins palliatifs pédiatriques est extrêmement actif. »

Si le secteur est bien documenté dans les pays anglo-saxons et au Canada particulièrement, où des formations universitaires spécifiques allant jusqu’au doctorat existent, il reste peu exploré chez nous. Quels sont les instruments utilisés, quels sont leurs impacts ? Des questions concrètes sur lesquelles Marie Friedel s’est penchée : « Pour mesurer l’impact de ces soins, je me suis mise à chercher quels seraient les instruments de mesure que l’on pourrait tester auprès des enfants pour explorer et mesurer leur qualité de vie et celle de leurs parents. La discipline peine à se faire reconnaître chez nous… Une chaire en soins palliatifs pour adultes a été récemment inaugurée à l’UCLouvain, en 2017. S’il existe un certificat interuniversitaire de soins palliatifs UCLouvain/Université de Lille, il n’existe toujours pas de master ou de diplôme en SPP. Seule une formation continue organisée au Parnasse Isei (Haute Ecole Vinci) est offerte. » Pour trouver des clefs d’analyse, cette précurseure dans le domaine s’est alors tournée vers les recherches d’une universitaire, infirmière et professeure à l’Université de Kampala, Ouganda, associée au Ciceley Saunders Institute, Kings College de Londres et présidente de l’International Children’s Palliative Care Network (ICPCN) : Julia Downing.

Une étude multicentrique pour construire un instrument standardisé

Chercheuse anglo-saxonne, Julia Downing est membre du « International Children's Palliative Care Network » (ICPCN), un consortium de chercheurs et d’acteurs de terrain rassemblés dans l’intérêt du bon développement des soins palliatifs pédiatriques. « Julia Downing avait déjà démarré une recherche sur le sujet à l’aide d’un outil, disponible en anglais uniquement, testé auprès de 300 enfants en Afrique, explique Marie Friedel. Cet outil, le Children’s Palliative Outcome Scale (CPOS), a inspiré la chercheuse de l’UCLouvain qui en a tiré une étude pilote auprès de 14 enfants, 19 parents et 10 soignants sur le territoire belge. Comprendre comment ces questions résonnaient sur le terrain belge, mais surtout savoir comment adapter au mieux l’outil au secteur des SPP chez nous, en étaient les motivations. « Des soins prodigués au travers d’équipes de liaison pédiatrique qui offrent des soins transmuraux, aussi et surtout en dehors de l’hôpital », souligne-t-elle.

Terminée l’année passée, cette étude pilote a été soumise au Journal of Palliative Medecine sous le titre « Face and content-validity, acceptability and feasibility of an adapted French version of the Children’s Palliative Outcome Scale (CPOS): a pilot-study in the framework of the MOSAIK study (Move to Open Shared Advanced Interventions for Kids with life-limiting conditions) ». Dans l’attente de sa publication, l’étude est aujourd’hui élargie à une recherche multicentrique francophone. « L’objectif n’est pas seulement de valider les propriétés psychométriques de cet instrument, mais aussi d’explorer en quoi celui-ci permet d’améliorer les soins palliatifs pour les enfants, de les individualiser le plus possible, en observant le processus d’implémentation de l’outil dans les équipes, explique la chercheuse de l’UCLouvain. Comment, avec un outil composé de questions standardisées, promouvoir et augmenter l’individualisation des soins aux familles et aux enfants ? » Pour ce faire, la chercheuse s’est associée à six équipes de liaisons pédiatriques depuis janvier 2019 : Interface pédiatrique (Cliniques Universitaires St Luc), Globul’home (Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola), Equipe des soins continus et palliatifs pédiatriques (CHR la Citadelle, Liège), Equipe soins continus pédiatriques (CHC L’espérance, Liège), Kites (UZ Leuven), Koester (UZ Gand).

Un instrument de mesure voué à s’étendre aux pays francophones

Un volet théorique capital dans l’étude de ce secteur : la nécessaire prise en compte de quatre composantes des services des soins de santé palliatifs sans lesquels l’échec serait assuré. « Un schéma appelé « quadruple aim », développé par Thomas Bodenheimer il y a une dizaine d’années, explique Marie Friedel. Il rappelle que pour tout changement voulu dans les services de santé, quatre composantes restent invariables : la qualité des soins apportés à la famille, la promotion constante de la qualité de vie quelque soit la maladie, sans perdre en vue l’équilibre financier nécessaire ni la qualité de vie des soignants.

L’étude multicentrique doit aboutir fin décembre pour une analyse des résultats courant janvier 2020. Alors, un instrument d’étude devrait voir le jour, inspiré du CPOS originel, agrémenté d’une dizaine de questions supplémentaires et adapté au contexte hospitalier belge. « Nous espérons pouvoir le diffuser dans tous les pays francophones : France, Suisse, Canada…, explique la chercheuse. Des professionnels français ont déjà manifesté leur intérêt à participer à cette étude multicentrique. »

Marie Dumas

ENTRETIEN

Le projet Horizon 2020 qui permet d’obtenir des financements pour la recherche n’a pas sélectionné votre candidature… à un cheveu.

Le domaine des soins palliatifs est encore un domaine de niche en Belgique. Pour les adultes déjà, donc pour les enfants encore plus. Nous voulions obtenir une bourse pour pouvoir faire un état des lieux européens en matière de soins palliatifs pédiatriques (SPP) et quantifier le nombre d’enfants suivis pour maladie grave. Mais tant que nous n’aurons pas de formation universitaire en SPP, la reconnaissance du travail effectué dans ce domaine sera lente.

Entretemps, nous avons mené ce relevé en région de Bruxelles-Capitale grâce à une commande de la Fédération bruxelloise pluraliste de soins palliatifs, financée par la Fondation contre le cancer. Plus de 22.500 enfants atteints de maladie grave ont été répertoriés sur une période de cinq ans, de 2010 à 2014, dans les institutions bruxelloises participantes. En comparant ce chiffre à celui suivi par les équipes de liaison pédiatrique, nous avons pu observer que seulement 1,7% des enfants bénéficient de cet accompagnement. L’étude n’est pas exhaustive mais montre déjà combien l’offre actuelle en terme d’accompagnement des familles semble être insuffisante.

Comment vous êtes-vous passionnée pour ce domaine de recherche ?

Le déclic a été le vote pour l’extension de la loi dépénalisant l’euthanasie dans certains cas très précis chez l’enfant. J’ai voulu en savoir plus : est-ce que les soins palliatifs pédiatriques font la différence pour les familles, est-ce qu’ils sont efficaces pour améliorer cette qualité de vie ? Ces questions m’ont poussée à faire un état des lieux et éprouver en quelque sorte cette discipline assez récente dans l’espoir de la voir se développer.

Lien : Friedel M. et al. Very few children and adolescents with complex chronic conditions have access to paediatric palliative care: Results of a retrospective hospital-based study in Brussels, Belgium. (= Etude commanditée par la Fédération bruxelloise pluraliste de soins palliatifs FBSP, et financée par la Fondation contre le Cancer, mise en oeuvre par l'Institut de recherche santé et société-UClouvain). 

Publications supplémentaires : 
Friedel M, Brichard B, Fonteyne C, Renard M, Misson JP, Vandecruys E, Tonon C, Verfaillie F, Hendrijckx G, Andersson N, Ruysseveldt I, Moens K, Degryse JM, Aujoulat I.Building Bridges, Paediatric Palliative Care in Belgium: A secondary data analysis of annual paediatric liaison team reports from 2010 to 2014. BMC Palliat Care. 2018;17(1):77.
Friedel M, Aujoulat I, Dubois AC, Degryse JM. Instruments to Measure Outcomes in Pediatric Palliative Care: A Systematic Review. Pediatrics. 2019;143(1). pii: e20182379.
Friedel M, Terwangne B, Brichard B, Ruysseveldt I, Renard M.The Belgian euthanasia law and its impact on the practises of Belgian paediatric palliative care teams. Int J Palliat Nurs. 2018;24(7):333-337.
Clément de Cléty S, Friedel M, Verhagen AA, Lantos JD, Carter BS. Please Do Whatever It Takes to End Our Daughter's Suffering! Pediatrics. 2016;137(1).
Friedel M. Does the Belgian law legalising euthanasia for minors really address the needs of life-limited children? Int J Palliat Nurs. 2014;20(6):265-7.

Coup d’œil sur la bio de Marie Friedel  

Marie Friedel est infirmière pédiatrique (1996, Parnasse-ISEI, Belgique) franco-allemande, titulaire d'un master en santé publique (2001, UCLouvain, Belgique) et d'un diplôme en soins palliatifs pédiatriques (2016, Université de Lyon I, France). Elle a travaillé plusieurs années dans une équipe interdisciplinaire de liaison pédiatrique transmurale en Belgique auprès d’enfants atteints de maladies limitant la vie. Depuis 2000, elle est maître-assistante dans le département de soins Infirmiers au Parnasse-ISEI (Haute Ecole Léonard de Vinci, Belgique). Passionnée par tout ce qui humanise les soins et plus particulièrement par le fait de donner une voix aux enfants en soins palliatifs et à leurs parents, elle a commencé en 2016 un doctorat en santé publique à l'Institut de Santé et Société (IRSS) attaché à l'UCLouvain à Bruxelles.

Publié le 04 octobre 2019