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Le burn-out est-il une maladie professionnelle ? L’Organisation mondiale de la santé (OMS) se refuse pour l’heure à l’étiqueter ainsi, mais le considère désormais comme un « phénomène lié au travail ». Plus précisément, « comme un syndrome conceptualisé comme résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été correctement géré », et non plus seulement comme un « facteur influençant l’état de santé ». Pour y faire face, les solutions actuelles consistent généralement à encourager les travailleurs à prendre plus de pauses, à dormir davantage et à travailler moins. Un marché florissant est apparu, avec des produits et des services conçus pour vous inviter à la détente, des applications de méditation, des logiciels de suivi du sommeil et des minuteries intelligentes pour vous rappeler de faire une pause. Pourtant, malgré la disponibilité de toutes ces solutions, nous ne pouvons toujours pas nous arrêter de travailler. Pour quelles raisons ?

Cette question a abouti à un projet de recherche de trois ans qui s’est transformé en un livre. « Hustle & Float » (2019) retrace l’évolution de notre relation avec le travail, en mettant un accent particulier sur les travailleurs du savoir – toute personne qui est rémunérée pour penser, créer, écrire, élaborer des stratégies, résoudre des problèmes complexes ou toute autre tâche hautement cognitive. J’ai interviewé plus d’une centaine de professionnels (entrepreneurs, écrivains, dirigeants, comptables, avocats, banquiers, danseurs, enseignants, etc.) et ils m’ont tous dit la même chose : ils se sentent de plus en plus obligés d’en faire plus, et ils ont tous éprouvé des symptômes physiques ou mentaux résultants du surmenage. Plus important encore, ils identifient des stratégies qu’ils pourraient mettre en œuvre pour aider à résoudre ces problèmes, mais ne semblent pas s’y tenir. En clair, le problème du burn-out n’est pas dû à un manque de connaissances ou d’informations relatives aux solutions pour y remédier. Nous savons ce que nous devrions faire, mais ne le faisons pas.

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Les forces qui façonnent notre culture du travail

Mes recherches ont révélé trois forces : « les systèmes », « les histoires » et « le moi » qui constituent les éléments fondamentaux de notre culture de travail contemporaine. Ce n’est qu’en comprenant comment ces forces influent sur nos comportements que nous pouvons apporter de réels changements.

1. Les systèmes. Historiquement, nos réflexions sur le travail sont en grande partie issues de la révolution industrielle et bon nombre de nos meilleures pratiques sont axées sur un modèle de productivité initialement conçu pour le travail manuel, et non sur les tâches cognitives extrêmement complexes que nous accomplissons aujourd’hui. De nombreuses organisations ont intériorisé cette production continue au sein de leur culture et les salariés se sentent obligés de travailler en permanence, remplissant leurs agendas d’appels, de réunions et de toute sorte de tâches pour démontrer leur valeur productive. Nous devons reconnaître l’influence de ces systèmes qui ont propagé des normes qui n’ont aucun sens pour bon nombre de travailleurs du savoir d’aujourd’hui.

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2. Les histoires. Notre culture aime les penseurs créatifs. Nous les idolâtrons et les plaçons sur un piédestal. C’est le cas d’Elon Musk et de Steve Jobs que bon nombre de personnes admirent pour leurs talents créatifs. Mais lorsque vous regardez la manière dont nous parlons de ces entrepreneurs, leur succès est toujours relié à leur dur labeur. Des articles louent régulièrement le fondateur de Tesla pour les longues heures qu’il passe dans son bureau ou à dormir à l’usine, glorifiant ainsi son dévouement total pour son travail au détriment de sa santé et de ses relations personnelles. Certains recommandent même de se lever à 4h30 du matin pour « en faire plus». Ces histoires sont un récit moderne du rêve américain, la conviction profondément ancrée que si vous travaillez assez dur, vous aurez du succès. Mais cette idée puissante a un côté sombre : si vous ne réussissez pas, c’est que vous ne travaillez pas assez fort.

3. Le moi. Alors que notre compréhension scientifique du cerveau et de la créativité continue de croître, il devient évident que nos cerveaux n’ont jamais été construits pour des tâches hautement cognitives continues et soutenues. En 2011, une étude de l’Université d’Illinois décrivait le concept de « vigilance decrement » (l’équivalent de « fatigue mentale »), c’est-à-dire lorsque les performances des sujets diminuent avec le temps passé sur une tâche. Les scientifiques estiment que le cerveau fonctionne de manière optimale lorsqu’il est confronté au changement. Ainsi, se focaliser sur la même tâche pendant trop longtemps nuit à la performance. Dans cette étude, les groupes qui se sont accordés deux courtes pauses n’ont pas connu de baisse d’efficacité, à l’inverse du groupe contrôle, qui n’a pas pris de pause.

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Les songes bénéficient au cerveau

Notre cerveau a besoin de temps pour se reposer et réfléchir. Les chercheurs ont identifié le fait de laisser son esprit vagabonder comme étant une activité très importante pour nos capacités créatrices et notre bien-être général. Historiquement, le fait de rêvasser a été assimilé à de la paresse et à un manque de concentration. Mais ce sont des contre-vérités. Une étude de l’université du Wisconsin a montré que le fait de rêvasser est une activité du cerveau en lien avec notre mémoire de travail, c’est-à-dire notre capacité cérébrale à se rappeler d’informations tout en pensant à autre chose. Cela active le réseau du mode par défaut (MPD), un réseau qui nous permet d’effectuer des tâches de manière automatique, tout en économisant de l’énergie. Cela joue un rôle au travail car pour la plupart des travailleurs du savoir, résoudre des problèmes implique énormément la mémoire : il faut mobiliser ses expériences passées et les analyser pour trouver une solution. Si vous n’arrivez pas à progresser dans la résolution d’un problème, il est peut-être temps de faire une pause, pour laisser votre MPD faire son œuvre et reprendre de bon pied.

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Et pourtant, considérez l’environnement de bureau moyen. Qui a le temps de regarder par la fenêtre et de laisser son esprit vagabonder à l’ère de l’hyper-productivité ? Ce besoin est en contradiction avec la façon dont nous travaillons dans de nombreuses organisations. Il s’agit d’un problème complexe qui englobe notre histoire, notre culture et notre fonctionnement neurologique, qui façonne nos comportements et nos motivations aujourd’hui. Nous avons l’habitude d’évaluer les performances dans l’optique de la productivité continue, ce qui va à l’encontre de l’activité de la plupart des travailleurs du savoir. Malgré cette inadéquation, nous avons créé une culture qui célèbre le surmenage et mythifie le dévouement au travail de « héros créatifs ». Plus nous nous efforçons à travailler plus longtemps et plus durement, moins nous de temps et d’espace pour réfléchir, ce qui nous prive de ce dont nous avons besoin pour être créatif. C’est pourquoi il ne suffit plus de dire aux individus de travailler moins. L’épuisement professionnel est le symptôme d’un problème très réel : les systèmes de croyances que nous avons créés qui lient notre identité et notre estime de soi à nos emplois.

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